vendredi 16 avril 2010

2010 Djian Philippe - Incidences - Gallimard -

extrait en "pdf"
http://www.megaupload.com/?d=A13G722K
http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_article=15212&id_rubrique=1406

Extrait début,page 9
  S'il y avait une chose dont il était encore capable, à cinquante-trois ans, par un grand soir d'hiver que blanchissait la lune et après avoir bu trois bouteilles d'un vin chilien particulièrement fort, c'était d'emprunter la route qui longeait la corniche le pied au plancher.

  Il conduisait une Fiat 500, au moteur fatigué, mais qui aurait sans doute eu la force de le jeter au fond de la vallée s'il n'avait gardé sur le volant une main ferme -et sur la route des yeux suffisamment ouverts.
  L'air glacé s'engouffrait par le carreau baissé. Les pneus miaulaient méthodiquement dans les épingles à cheveux. Beaucoup d'imbéciles s'étaient tués sur cette route au fil des ans mais, pour sa part, il continuait de la braver.
   Jamais il ne s'était résolu à passer la nuit en ville, quoi qu'il eût fait ou bu ou pris -jamais. Personne n'avait jamais pu l'empêcher de prendre sa voiture et de rentrer chez lui. Pas cette route. Pas cette maudite route, en tout cas.
Il avait une jeune femme 'pour passagère, apparemment ivre elle aussi. Il lui jeta un coup d'oeil et s'émerveilla une fois encore qu'un vieux prof en veston et possédant une si petite voiture eût encore l'heur de séduire une étudiante -et de l'emporter dans son repaire afin d'en jouir au moins jusqu'au petit matin.


Il avait compris, bien des années plus tôt, qu'il était temps pour lui de profiter de certains avantages inhérents à la profession -à défaut d'obtenir de plus hautes récompenses qu'il ne fallait plus espérer. Un beau matin, par un étrange phénomène, l'une de ses élèves s'était mise à briller sous ses yeux de l'intérieur, tel un lampion, d'une lueur magnifique une fille absolument infichue d'écrire deux lignes, au demeurant, pratiquement dénuée d'intérêt, d'ordinaire si fade, mais il s'était soudain senti aveuglé et frappé d'un souffle brûlant tandis qu'il raillait un peu férocement devant les autres un travail qu'elle avait rendu. Et cette fille s'était révélée la première d'une assez longue série et l'une des plus agréables partenaires sexuelles rencontrées au cours de son existence.
   Multiplier les rapports avec de jeunes étudiantes, au bout du compte, n'avait ainsi rien d'une épreuve ni d'une maigre consolation. Des types se faisaient sauter au milieu des foules pour bien moins que ça.

Celle qui l'accompagnait ce soir-là, et dont le nom lui échappait, venait de s'inscrire à son atelier d'écriture et il n'avait pas cherché une seconde à lutter contre l'attirance qu'elle exerçait sur lui -qu'elle exerçait outrageusement sur lui. Pourquoi lutter? Le week-end s'annonçait glacé, propice au feu de bois, à l'indolence. Des lèvres boudeuses. Des hanches profondes. Il fallait juste prier pour qu'elle soit en état le moment venu.

   Elle ne semblait guère consciente. La ceinture l'empêchait de s'effondrer d'un côté ou de l'autre. Il allait devoir préparer du café en arrivant.
   Les bas-côtés étaient blancs, les sous-bois d'un noir d'encre. Il roulait au milieu de la chaussée, mâchoires serrées, à cheval sur la ligne blanche qui se tordait sous ses yeux comme un serpent affamé dans la lune rousse.

 Elle avait vingt-trois ans. À l'aube, il s'aperçut qu'elle était sans vie, froide.
   Passé un instant de stupeur, il rejeta brusquement les draps, bondit hors du lit et s'en alla coller son oreille à la porte. La maison était silencieuse. Il écouta attentivement. Puis il se tourna de nouveau vers le lit et observa le corps de la fille. Au moins n'y avait-il pas de sang. C'était heureux. Sous la forte lumière qui pénétrait la chambre, elle paraissait absolument intacte, laiteuse et lisse.
   Il s'habilla sans plus attendre. Il se souvenait qu'il avait pratiquement dû la porter de la voiture jusqu'au lit -aussi vaillante qu'un sac de pommes de terre et susceptible d'être malade d'un instant à l'autre. Quand soudain, parvenue à la châmbre, elle s'était réveillée. Ravie d'être là, chez lui -enfin chez lui. Avait arraché ses vêtements, envoyé promener sa culotte à travers la pièce. Il n'avait aucune idée de ce qui s'était passé ensuite, mais une chose était sûre : ils l'avaient fait. Aucun doute.

   Ces filles étaient toutes plus formidables les unes que les autres et celle-ci, pour ainsi dire une beauté ) malgré des jambes un peu courtes, n'avait pas failli à la règle. Même dans ces conditions, terriblement morte et de plus en plus froide, elle demeurait très attirante. Il baissa la tête  Des ennuis se profilaient à l'horizon. De gros ennuis. Et rien ne ramènerait cette pauvre fille à la vie, d'une manière ou d'une autre. On ne pouvait plus rien faire pour elle.

      -------------------------------------------------------------
sauvegardes "pdf" personnelle d'autres livres disponibles pour étudiants de Madagascar:
http://www.megaupload.com/?f=MNCEI3HW

http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_rubrique=1406&id_article=7403
http://dadabecdtexte.blogspot.com/2010/04/2009-philippe-djian-impardonnables-cd.html
http://sainagasydadabe.blogspot.com/2010/02/philippe-djian-incidences-ed-gallimard.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire