samedi 11 juillet 2009

MILLET Catherine - Jour de souffrance - cd texte

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  1. Récit -

    Le regard clinique de Catherine M. sur le poison qui ronge sa vie.

    « Un individu sensé peut-il avoir avec lui-même une autre relation que spéculaire ? » s'interroge Catherine Millet, dans la brève et éclairante préface qu'elle a donnée à l'édition de poche (1) de La Vie sexuelle de Catherine M. C'est dans ce texte de quelques pages, titré avec limpidité « Pourquoi et comment », qu'il convient de chercher la réponse à la question qui, mille fois depuis 2001 et la parution de ce récit sidérant, a été posée à Catherine Millet : mais pourquoi avez-vous écrit ce livre ? Un témoignage, répond-elle sobrement, « un texte destiné à établir une vérité, la vérité d'un être singulier ». Au fond, c'est aussi simple que cela. Et voici en même temps évacué d'emblée le risque de s'emparer du présent Jour de souffrance avec en tête l'idée erronée qu'on y lira l'exégèse ou la justification du livre précédent. Si Jour de souffrance s'inscrit avec naturel dans le prolongement de La Vie sexuelle..., ce n'est pas à la façon d'une explication de texte. Entre les deux volets du diptyque, pas de relation de subordination. Mais une homogénéité, qui réside dans la façon analogue dont Catherine Millet prend position pour observer le « motif » par elle décidé : ici sa vie sexuelle, là le sentiment de jalousie éprouvé à l'égard de « l'autre vie » de son compagnon, et dans les deux cas, le choix radical d'« une posture de témoin, y compris face à [soi]-même », un souci d'objectivation du vécu, passant par une sorte de dédoublement de soi.

    Ce qui est passionnant, dans ce Jour de souffrance, ce qui, de ce récit, fait l'évidente beauté, c'est peut-être la rébellion qu'oppose, à l'intelligence de Catherine Millet, à sa volonté affirmée de distance et de neutralité, ce sujet précis : l'abstruse, irrationnelle et indigne jalousie, ce piège clos dans lequel elle se retrouva enfermée durant plusieurs années ; incapable, en dépit de sa propre liberté sexuelle hautement revendiquée et pratiquée, de ne pas souffrir de celle de son compagnon de longue date, l'écrivain Jacques Henric, à qui elle découvrit un jour des liaisons, en marge de leur couple. Obsession, suspicion, incapacité à se raisonner, sensation d'exclusion et d'absolue solitude, situations humiliantes, tentation masochiste... : Catherine Millet ausculte ici minutieusement les manifestations du désarroi qui s'est emparé d'elle, mobilisant ses capacités spéculatives remarquables - présentes, tangibles, impressionnantes - pour tenter de comprendre ce qu'est ce sentiment, la jalousie, qui l'a envahie jusqu'à l'habiter tout entière, parasiter ses pensées et ses rêveries, l'aliéner.

    Mais si scrupuleux soit son regard, si précise son analyse, si profond creuse-t-elle, quelque chose lui échappe : cette jalousie dont elle voudrait toucher du doigt les ressorts s'arc-boute. Et tout se passe comme si, face à cette résistance, elle était entraînée à trouver en elle d'autres ressources que cette intelligence solide, limpide et froide qui est son arme première. Ces ressources, c'est dans sa mémoire qu'elle les puise, dans la révélation de ses fragilités et de ses doutes, de ses dédoublements, de ses contradictions, ses ambiguïtés. Toujours hors du registre de l'aveu et de l'interrogation morale, mais de plain-pied dans celui de l'intimité et de la profondeur.

    Nathalie Crom

    Telerama n° 3059 - 30 août 2008

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